mercredi 2 mars 2011

Entretien croisé avec Christophe Karabache et Yves-Marie Mahé




Des expérimentateurs agités,
les libertaires Christophe Karabache et Yves-Marie Mahé
par Isabelle Marinone

Entretien effectué en 2004.

Autodidactes, créateurs instinctifs, Yves-Marie Mahé et Christophe Karabache ont pour particularité de penser l’image expérimentale avec leurs révoltes et leurs tripes. Dignes continuateurs des Soukaz et autres Bouyxou, ces cinéastes offrent un maximum de provocation sur grand écran en un minimum de temps de projection, vomissant la société en gerbes colorées sur quelques bandes filmiques réduites. Le premier, fondateur de l’artistique Collectif Négatif, récupérateur de vieux pornos des années 1970 et 1980 balançant de l’eau de javel sur les pellicules, s’avère le plus vieux de ces deux « petits agités » du cinéma expérimental contemporain. Le second, créateur d’un cinéma de la rage, de la cruauté et du désir, recycle et innove à partir d’images documentaires pornographiques et guerrières. Leurs deux parcours de vie s’ancrent dans la marginalité.

Breton de Morlaix né en 1972, Mahé débute mal dans la société. Elève médiocre, placé par ses parents à son adolescence dans un pensionnat loin de sa ville natale, il se désintéresse très tôt des cours. Pourtant, le lycée lui permet malgré tout de faire une découverte : celle de la musique alternative. La mode du Punk baigne Mahé dans une atmosphère politique subversive. Après avoir fait trainée sa scolarité, il sort de ce cadre rigide avec pour seul bagage un baccalauréat obtenu péniblement et … une conviction antimilitariste et libertaire. Bien décidé à passer les frontières de sa région, il arrive à Paris pour entrer dans une école de cinéma, mais en ressort très vite déçu. La formation sur « le tas » l’attend alors : machiniste puis assistant réalisateur, il apprend son métier sur les tournages de plusieurs films notamment d’un long métrage de Claude Lelouch.

Franco-Libanais de Beyrouth, Karabache est né en 1979 en pleine guerre du Liban, tragédie qui marque son enfance à la fois physiquement et moralement. En grandissant, Karabache s’avère particulièrement indiscipliné à l’Ecole et donne du fil à retordre à sa famille qui l’élève. Son baccalauréat en poche, il entre dans une école audiovisuelle qui ne lui convient pas. Passant par une formation philosophique, il conteste - avec références à l’appui - et s’approche des thèses libertaires. Il décide de partir en France pour trouver d’autres structures d’apprentissage. Après un passage dans les universités de Paris X, Paris I et Paris III, il réalise ses propres films et essais.

En travaillant plusieurs formes cinématographiques, Mahé et Karabache se retrouvent dans l’expérimental et fréquentent le même atelier : l’ETNA. Le premier réalise rapidement quelques films Super 8 en autodidacte. Influencé par les productions de Mac Laren, il s’exerce à l’animation, mélangeant dessins abstraits et photogrammes recyclés. Son ton provocateur le conduit vers des réalisations détournant des productions cinématographiques commerciales, en particulier pornographiques, comme Poupée de sperme, Va te faire enculer ! (1998), mais aussi Bienvenue ! Va crever ! (2001). A partir de La Gaulle (2003), il entame un virage plus politique. Le second, ayant déjà produit quelques films au Liban, poursuit son travail en France à partir du même du support argentique qu’il défend. La violence et la rage de vivre accompagnent une dénonciation continuelle des systèmes politiques de Sarcophage (2001), Esprits révoltés (2002), en passant par Fragments d’une vie anéantie (2003), Sévices ektachromatiques (2004) jusqu’au récent Zone frontalière (2007).

Montage croisé de deux témoignages


Les origines

Yves-Marie Mahé : J’étais en Bretagne dans le Finistère, à Morlaix. Mon père vient plutôt d’une famille aisée, et ma mère, qu’une famille d’artisans. J’ai toujours vu autour de moi, ces deux milieux qui se mélangeaient. Au final, cela fait une classe moyenne. Je n’étais pas bon à l’école. Comme je redoublais, on m’a mis dans des écoles privées, et puis comme je restais mauvais, on a finit par me placer dans une boîte à bac.

Christophe Karabache : Je suis né au Liban, issu d’un père Libanais et d’une mère Française. Mon père était instituteur, et ma mère ne travaillait pas. Je suis né en 1979, en pleine guerre. Un an après, j’ai perdu mes parents dans un attentat, alors que j’étais avec eux. J’ai été élevé par ma grand-mère et ma tante, et par la suite par mon oncle qui m’a prit en charge jusqu’à l’âge de 18 ans. J’ai vécu seul à partir de l’âge de 16 ans.

L’évolution vers le cinéma

Yves-Marie Mahé : J’ai fait une école de cinéma qui était vraiment pourrie à Barbès, le CLCF. Le seul intérêt de cette école, c’est que l’on pouvait faire un film de fin d’études. Le film que j’ai produis était très mauvais. Je l’ai d’ailleurs détruit ensuite. Puis j’ai été machino et assistant réalisateur sur une quinzaine de courts métrages et un Lelouch. Il y a même un moyen métrage auquel j’ai participé qui a été sélectionné à Cannes. Cela m’a dégoûté car je n’aimais pas trop la hiérarchie. A l’époque, je savais que cela existait le cinéma expérimental, mais on ne peut pas dire que j’en faisais vraiment. Je faisais quelques trucs en Super 8. Par la suite, j’ai pu voir une exposition sur Mac Laren, où j’ai vu que l’on pouvait faire de l’animation assez facilement. Cela m’a énormément influencé. C’est de là que j’ai essayé de reproduire des choses similaires pour voir ce que ça pouvait donner, dessiner sur la pellicule puis projeter ensuite. Cela en plus des essais de persistances rétiniennes a donné lieu à mon premier film expérimental Mouvement. A partir de ce moment là, je me suis rendu compte que j’avais un sens de la logique et de l’animation. Le cinéma a toujours été là pour moi, je l’ai toujours adoré. Je n’étais pas spécialement artiste, j’étais juste passionné par le cinéma. Moi, je voulais devenir réalisateur, pas être technicien. J’ai beau avoir fait une école de cinéma, je me sens quand même autodidacte. J’ai appris en faisant, comme pour l’expérimental.

Christophe Karabache : Lorsque j’ai débuté dans le cinéma, je n’étais pas cinéphile, ni cultivé sur ce plan. Au Liban, le cinéma expérimental n’existe pas, et ici même, le plus grand nombre n’a pas connaissance de ce genre filmique. Quand j’ai commencé à tourner, on m’a dit tout de suite que je faisais de l’expérimental. J’ai commencé à crier, à me révolter, et l’on a fini par me dire, « toi tu es anarchiste ! ». Je n’avais jamais suivi les mouvements libertaires et leurs théories, d’emblée on m’a dit que j’étais comme cela. A partir de là, je me suis mis à lire les théories comme pour le cinéma expérimental. Mon premier film a été réalisé quand j’étais encore à l’école au Liban. J’ai pris une VHS et j’ai filmé des objets dans mon appartement. Le jury de l’école ne l’a pas retenu car il n’y avait pas de personnages dans le court-métrage. C’est à la suite de cette première tentative que j’ai décidé de partir. Là-bas (au Liban), je n’ai pas trop aimé les méthodes audiovisuelles qui étaient à la base de l’apprentissage. J’étais plutôt orienté vers le cinéma. Lorsque je suis parti du Liban pour la France, je me suis inscris dans une école de cinéma, l’ESRA, où je me suis senti aussi assez. De là, je suis entré à l’Université.

Les références cinématographiques

Christophe Karabache : Mes références cinématographiques à cette période, c’était plutôt le cinéma d’auteur, avant même l’avant-garde. Après, c’est à Paris que j’ai connu Lemaître, etc. Je reste plutôt praticien que théoricien.

Yves-Marie Mahé : C’était plutôt les acteurs au départ. Et puis, j’ai été marqué par Alain Tanner, Pialat et Eustache, et Mac Laren dans l’expérimental. Rien à voir avec ce que je réalise. J’aime l’animation dans l’expérimental. J’aime qu’il y ait du travail. Le côté Jonas Mekas ne m’intéresse pratiquement pas. J’ai la sensation qu’il pense que les spectateurs feront le tri, le montage, pour lui, à la projection.

La révolte … libertaire ?!

Yves-Marie Mahé : Durant mes années de pension, le rock alternatif était très présent ainsi que le punk, tous les deux assez formateurs pour moi. Je suis devenu anarchiste suite à cela et aux déclarations de Ravachol à son procès que j’avais pu lire. Dès l’âge de 15 ans, j’étais anar. Mais dans la pratique, je n’ai jamais été militant. Certes, j’essaye d’en faire le moins possible pour le système, mais bon … Même dans les films que j’ai fait, il n’y a peut-être que La Gaulle qui soit ouvertement anarchiste, en tout les cas, il y a le sigle. Ce que j’aime bien avec l’expérimental, c’est cet esprit punk, Do it yourself, où l’on doit tout faire soi-même. On est en association, on n’exploite personne. J’aime énormément le côté : « on peut organiser des choses sans argent ». La volonté suffit bien souvent. En ce sens, je trouve beaucoup de liens entre l’anarchisme et le cinéma expérimental. Un refus de la norme, et dans l’organisation, une entraide et un encouragement à la responsabilisation. Il y a plein de formes d’anarchismes différents. De mon côté, je ferai plutôt parti de l’anarcho-individualisme. Pour moi, ce qui est important c’est l’individu, je me méfie toujours des collectifs. J’ai appris à désapprendre, à remettre tout en question, à ne rien prendre comme des évidences. J’ai rencontré la CNT. J’ai toujours été sympathisant, mais pas au point d’être militant actif. La CNT est un syndicat, et comme je ne travaille pas …

Christophe Karabache : Ma génération est la dernière ayant vécu la guerre. La guerre est dans ma tête. Je suis une personne en colère, révoltée. Je n’adhère pas à ma génération, au sentiment patriotique libanais, national et traditionnel. Mon opinion dérange. J’ai eu des conflits personnels avec cette génération là. Enfant, j’étais très mal, je refusais le monde. Adolescent ma révolte s’est étendue aux institutions, surtout à l’école. A partir du lycée, je me suis fait renvoyer tout le temps à cause de mes bêtises. Comme j’étais pupille de la nation, on m’envoyait dans des écoles francophones privées, généralement catholiques et assez sévères. J’ai changé de lycée en terminale suite à un renvoi de l’école. J’ai pu malgré tout passer mon bac littéraire, mention Philosophie. Je n’ai jamais participé à des mouvements, adhéré à des partis politiques. J’étais toujours dans une démarche de révolte individuelle. Même adhérer à la Fédération Anarchiste équivaut à entrer dans un système, et par conséquent perdre un peu de sa liberté personnelle. En cela, je suis radical. Mes amis libanais de mon âge étaient généralement communistes ou socialistes au sein d’une majorité de droite et d’extrême droite. Il y a des choses que je ne supporte pas dans le communisme, essentiellement l’organisation et la bureaucratie. Comme je le disais à Nicole Brenez, je ne pense pas faire des films « politiques » et je ne me revendique pas comme un cinéaste politique. Je ne serai jamais un politicien, je suis un révolutionnaire. Mais en réalité tous mes films sont des « actes » politiques. Dans ce sens là uniquement, je fais de la politique. Je fais du cinéma « révolutionnaire ». J’ai vécu une vie très visuelle, la guerre, c’est quelque chose de très visuel. Ces images que j’avais dans ma tête, j’ai eu besoin de les sortir ! Et puis aussi, retrouver les images manquantes de ma vie, celles de l’accident de mes parents, celles de leurs disparitions. Attentat à la bombe, près d’un cinéma d’ailleurs. Le cinéma est un moyen d’expression que j’ai mis en pratique après la peinture. J’ai eu besoin de faire bouger le motif à l’intérieur du cadre, de le mettre en relation avec autre chose, c’est-à-dire faire du montage. Mon cinéma est un cinéma de montage.

Des « références » anarchistes ?

Yves-Marie Mahé : Tout ce qui touche à la propagande par le fait m’intéresse. J’ai lu un « Que sais-je ? » sur l’anarchisme, où il parlait d’Emile Henry, Ravachol … Tout le côté romantique de l’anarchisme. Ce qui me plaisait c’était leurs procès, où ils ne faisaient rien pour s’excuser. C’était fascinant. Sinon, j’ai dû lire un peu Proudhon. Mais en fait, pour moi cela va de soi. Les théories finissent vite par « m’emmerder ».

Christophe Karabache : J’apprécie particulièrement Raoul Vaneigem mais c’est un Situationniste, notamment son point de vue sur l’économie. Mais j’ai lu et je me suis intéressé à Bakounine et Kropotkine. « L’Anthologie de l’anarchie » de Daniel Guérin m’a apprit pas mal de choses. Pour la philosophie, je préfère Nietzsche à Adorno.

La conception de films expérimentaux

Christophe Karabache : Au départ, j’avais besoin et envie de parler de la guerre. Maintenant, j’ai davantage envie de parler du présent. Chaque film est conçu d’une manière différente. Le cinéma, qui est vraiment devenu mon moyen d’expression, s’impose lorsque j’ai envie de crier. D’ailleurs, tu auras certainement remarqué que je crie plus que je ne parle dans mes films. En règle générale, mes films sont réalisés rapidement. Je ne conçois pas le film comme un projet à longue échéance. Il faut toujours que je termine rapidement, dans l’urgence, dans l’immédiat. Lorsque je suis devant la table de montage, je reste le temps qu’il faut, et je ne me lève pas tant que la bande n’est pas terminée. Suxion propaganda, c’est des images que j’avais dans ma tête, un discours. Après le hasard fait tout dans ma démarche. Parfois, j’écris ou je dessine un peu des images du film. J’achète ma pellicule, je prends ma caméra, et je commence à filmer. Pour Suxion propaganda, l’idée de base était de filmer la télévision en accéléré. Le montage était pensé à l’avance, entre images pornographiques et images d’hommes politiques. Il y a beaucoup d’accident dans mes films que je trouve toujours plus créatifs et que j’exploite. Ma formation cinématographique est autodidacte, je connais assez bien la technique du film, et je m’en méfie un peu. La structure générale du montage est pensée à l’avance, après je laisse la place au hasard. Parfois, il m’arrive de ne plus rien maîtriser, et en général je ressors content du résultat. Les derniers films que j’ai réalisés, ce sont des films recyclés d’autres que j’avais fais précédemment. Mes anciennes productions, je les recycle. Je garde toutes les erreurs, les plans surexposés, etc. C’est ma conception « anarchique » du cinéma, à la fois par la thématique et l’esthétique. Mon anarchie se situe aussi dans la façon de faire les images, de les juxtaposer.

Au départ, je pensais le cinéma comme uniquement visuel. Le son était pour moi narratif et donc totalement secondaire. Lorsque j’ai réalisé mon premier film sonore, c’est parce que le son c’était réellement imposé pour moi, il était devenu nécessaire. Cela donne surtout des hurlements, des cris, toujours fait dans une grande spontanéité. Quand je réalise mes « télés-cinéma », j’envoie du son sans savoir sur quelle image il va s’inclure. Je prépare la bande son avant le montage des images. Le son est automatique, un peu à la manière de l’écriture automatique. Entre le tournage et le montage, en trois semaines je peux faire un film. Si je fais des courts métrages, c’est parce que ma respiration est courte, spontanée. Par ailleurs, l’aspect économique reste aussi une des raisons du court-métrage. La pellicule coûte cher, il ne faut pas l’oublier. Minimum d’argent, maximum de résultat esthétique ! La fiction ne m’intéresse pas, car je n’ai rien à raconter, ou à adapter. Quant au documentaire, il ne me tente pas. Pour moi, c’est l’expérimental qui peut le mieux accepter ce que je fais, mes films déchets, vomis et masturbés. Ils forment mon miroir. Mon point de vue antisocial, contre tout pouvoir politique, social, religieux, fait que je ne peux me placer que dans la marge, y compris la marge cinématographique. Le fait de grandir sans parents a crée en moi une colère, une révolte, plutôt qu’une haine. Lionel Soukaz me défini comme un anarchiste « destructeur ». Mon objectif est de détruire, c’est vrai, mais pour reconstruire quelque chose de mieux !

Yves-Marie Mahé : A 20 ans, j’ai commencé à réaliser des films en Super 8. Puis, j’ai débuté la musique. A partir de là, j’organisais mes projections, mes concerts. Avec Dan Dahan, j’ai sorti un disque de reprise sur « Rectangle » pour soutenir Jean-Louis Costes. Mes premiers films avant Mouvement, je ne les ai pas gardés, ils n’étaient vraiment pas bons. Dans Mouvement, je dessine sur la pellicule, par contre le film suivant La petite mort, là, j’efface les images avec de l’eau de javel et du scotch. Maintenant mes films sont plus narratifs, il y a aussi un peu plus d’humour. Mais pour moi l’abstrait et le figuratif ont toujours été liés. Les films ne me coûtent rien. J’ai un copain qui est projectionniste et qui m’apporte des films, notamment les bandes annonces. Et puis à l’ETNA, il y a leur cave remplie de bobines, il y a de quoi faire. Souvent je prends les films en 35 mm, que je re-filme en 16 mm. En revanche, pour De Gaulle, le film reste tel quel en 35 mm, il y a juste du grattage de réalisé. Je prends les films trouvés, je coupe ce qui ne m’intéresse pas, et je fais un premier montage avec. Ensuite avec tous les plans qui restent j’essaye d’en faire une histoire. La bande son, c’est la musique que j’ai composée chez moi. Ce qui est bien avec les films expérimentaux, c’est que la musique n’est jamais trop complexe. C’est assez répétitif avec quelques variations. Je passe les images que j’essaye avec différents morceaux. Je réalise les bandes son environ six mois après avoir fait le film. Pour Hybride, il n’y a pas eu de bande son pendant deux ans, et puis un jour j’ai enregistré une émission du « Masque et de la Plume », et j’ai trouvé que cela faisait un bon commentaire des images.

Pornographie et provocation

Yves-Marie Mahé : L’idée du chaos marche bien. Une fois, j’ai projeté sur une péniche mes films. Les gens dansaient entre le projecteur et l’écran. Je ne supporte pas l’esprit festif. En réalité, tout le monde s’en « foutait ». Jusqu’au moment où j’ai mis un des films pornos. Là, les gens se sont arrêtés de danser à partir du moment où ils se sont rendus compte que des sexes passaient sur leurs visages. Enfin, il se passait quelque chose ! Je ne veux pas tirer sur le porno. Les gens qui le font sont grands. Par contre, je n’aime pas le porno industriel aux scénarios consternants. De plus, je n’ai rien contre la pornographie en tant que telle, je la trouverai même excitante, surtout lorsqu’elle est cryptée, cela donne l’occasion d’y voir ce que l’on veut. Mais l’industrie pornographique a plus de lien avec le fric qu’avec l’art. Maintenant, je ne fais plus beaucoup des films provos, je fais plus dans l’opposition désormais, comme Bienvenue ! Va crever ! Les titres des films sont importants parce qu’il faut qu’ils soient accrocheurs ! Mais c’est davantage de l’agression que de la provocation. Dans mon cas, c’est une position de défense, ou si tu préfères, un mode de communication, une réponse anticipée.

Christophe Karabache : C’est à la fois l’amour libre, un fantasme, et la conception du sexe comme cruauté. Mon cinéma est un cinéma de la cruauté, les ruines, la guerre, le sexe, la viande, le sang … Pour Sévices Ektachromatiques, mon idée était d’assembler et d’associer n’importe quoi. C’est peut-être une sorte d’ouverture vers le Lettrisme. Je fais d’une certaine manière des films qui rappellent ceux, libertaires, des années 70, ce n’est pas volontaire. Je pense qu’au fond les formes reviennent parce que le monde n’a pas tant changé que cela entre 1970 et aujourd’hui. Ou s’il a changé, je suis sacrement déçu du résultat ! C’est pour cette raison que mes montages sont triturés, vomis, masturbés, torturés. Aujourd’hui, après avoir réalisé un film, je respire un peu mieux. Ce qui n’était pas le cas avant, où je n’étais jamais complètement satisfait. Je me cherche, et seulement maintenant je commence à me trouver.

La réception des productions ?

Yves-Marie Mahé : Je me mets à la place des spectateurs. Je fais tout pour que ce soit court. Je voudrais qu’ils retiennent la singularité de mes productions. Le côté métaphysique qu’il peut y avoir dans le cinéma expérimental.

Christophe Karabache : Lorsque je réalise un film, je ne le fais pas pour les spectateurs. Il n’y a que moi, ma caméra, ma table de montage, mes idées. Ce qui ne m’empêche pas de partager mes films avec d’autres personnes. Je ne fais pas de la propagande, je hurle mes idées, mes conceptions. Je n’informe pas, je ne fais pas de pédagogie. Mes films ne peuvent pas adhérer à la logique de la masse, je crois. J’ai projeté au cinéma Balzac sur les Champs Elysées, le film Fragments d’une vie anéantie, les gens n’ont pas supporté la vue des images. Ils sont sortis de la salle. Pourtant, c’était lors d’un Festival de cinéma expérimental. Les personnes qui voient mon cinéma sortent généralement énervés. Le film que les Festivals acceptent, c’est Distorsion, qui est la présentation d’images de guerre en accéléré, qui va jusqu’à l’explosion. Pour le coup, ce n’est pas aussi radical que le reste de ce que je produis, c’est simplement un manifeste contre la guerre. Les Festivals se méfient des gens comme moi, on me traite de provocateur, de terroriste. Mais je ne suis pas un provocateur, je ne cherche pas à choquer. Dans Sévices Ektachromatiques, lorsque je juxtapose des plans de l’école et du cimetière, ou d’un enfant allaité suivis d’images pornographiques, c’est ce que je pense. Je garde tous les plans. La révolte, je la porte en moi, je ne me sentirais bien nulle part où il y a des règles.



Filmographie d’Yves-Marie Mahé :

Mouvement (1997), Super 8 couleurs, sonore, 4 mn.
Poupée de sperme (1998), Super 8, 6 mn.
La petite mort (1998), Super 8 couleurs, sonore, 4 mn.
Va te faire enculer ! (1998), mini dv couleurs, sonore, 10 mn.
Fuck (1999), mini dv couleurs, sonore, 7 mn.
Le soleil ne brille pas qu’à la plage (1999), Super 8 couleurs, sonore, 10 mn.
Le siège (1999), Béta sp couleurs, sonore, 4 mn.
La vie avec toi (2001), mini dv couleurs, sonore, 7 mn.
Hybride (2001) mini dv couleurs, sonore, 7 mn.
Bienvenue ! Va crever ! (2001), 16 mm couleurs, sonore, 4 mn.
Bitte (2001) 16 mm couleurs, sonore, 4 mn.
La Gaulle (2003) 16mm couleurs, sonore, 12 mn.
Un air de défaite (2005), dv couleurs, sonore, 4 mn.
Eveil et initiation (2005), dv couleurs, sonore, 3 mn.
Un gars, une fille …et Dieu ! (2005), dv couleurs, sonore, 5 mn.
Oil Slick (2005), dv couleurs, sonore, 4 mn.
C’est bon pour la morale (2005), dv couleurs, sonore, 30 sec.
Saynette (2006), mini-dv couleurs, sonore, 2 mn.
Sexe, violence … et compassion (2008), mini-dv couleurs, sonore, 8 mn.
Jeuness (2008), mini-dv couleurs, sonore, 2 mn.
La fin de la faim (2008), mini-dv couleurs, sonore, 1 mn.
J’aime Bond (2008), mini-dv couleurs, sonore, 2 mn.
Vivre Vite (2008), mini-dv couleurs, sonore, 2 mn.
Plus travailler (2008), mini-dv couleurs, sonore, 2 mn.

Filmographie de Christophe Karabache :

Sarcophage (2001), Super 8, 20 mn.
Esprits révoltés (2002), 16 mm, silencieux, 5,70 mn.
Fragments d’une vie anéantie (2003), Super 8, sonore, 8 mn.
Lutte (2003), 16 mm, 5 mn.
Anthropophagie (2003), 16 mm, silencieux, 8 mn.
Distorsions (2003), 16 mm, 6 mn.
Suxion-propaganda (2004), 16 mm, sonore, 6,40 mn.
Programme politique international (1ère partie) (2004), co-réalisé avec Benoît Foucher, 35 mm, silencieux, 7 mn.
RN 13 (2004), 16mm, 10 mn.
Sévices ektachromatiques (2004), 16 mm, sonore, 20 mn.
Kinoptik (2005), 16mm, 20 mn
Mondanités (2006), Super 8 / vidéo, 34 mn.
Zone Frontalière (2007), mini dv / 16mm, 45 mn.
Trans Society (2008), mini dv / 16 mm, 63 mn.
Wadi Khaled (2009), Super 8, 15 mn.
Tout va mieux (2009), Vidéo, 42 mn.
Beirut Kamikaze (2010), mini dv, 59 mn.
Un drink à ta santé (2010), mini dvd, 29 mn.

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