mardi 31 janvier 2012

CYCLE DE FILMS D'AMERIQUE LATINE


ÉCLATS ET SOUBRESAUTS D’AMÉRIQUE LATINE

PROGRAMMATION DES FILMS PAR OLIVIER HADOUCHI
(Historien de cinéma) A L'OCCASION DE L'EXPOSITION FOTO/GRÁFICA AU BAL

Les séances ont lieu au Cinéma des cinéastes tous les samedis matin à 11h.
" Un cinéma qui se fait complice du sous- développement est un sous-cinéma ", proclamait l’Argentin Fernando Birri dès 1962.
Les meilleurs cinéastes latino-américains des années soixante et soixante-dix furent souvent les plus engagés dans les combats politiques de leur temps pour la libération et pour le changement social,voire révolutionnaire.
" Il faut découvrir, il faut inventer "écrivaient Fernando Solanas et Octavio Getino en 1969, dans leur manifeste "Vers un troisième cinéma". Ce texte essentiel dialoguait avec le Che, Fanon, Godard, Marker, la pensée émancipatrice en Amérique latine, et le groupe Newsreel aux États-Unis. Plusieurs autres grands cinéastes latino-américains sont aussi auteurs de textes théoriques et de manifestes, citons ceux de Fernando Birri (Argentine), de Glauber Rocha (Brésil), de Julio García Espinosa (Cuba) et Jorge Sanjinés (Bolivie).
Ce panorama, en écho à l’exposition du BAL, FOTO/GRÁFICA, accorde une attention particulière à ces films de rupture, ces oeuvres parfois fragiles, imprégnées d’intensité, d’urgence et d’inventivité.
Ces travaux d’avant-garde ont d’abord suscité rejets et censures (Basta d’Ugo Ulive, L’Heure des brasiers de Solanas, Coffea Arábiga de Nicolás Guillén Landrián...), avant d’être reconnus comme des oeuvres phares.
Plus on approche l’époque contemporaine, plus on sent la marque de l’exil dans un contexte de répression et d’érosion du modèle révolutionnaire. Le regard des cinéastes a évolué, certes, mais il demeure toujours attentif aux questions sociales (La virgen Lupita d’Ivonne Fuentes) et culturelles (Carnavales en Potosí de Gabriela Zamorano). Si l’heure n’est plus à la révolution et à la guérilla, il s’agit pour ces cinéastes de préserver la mémoire de ces luttes et des terribles répressions des années soixante-dix (Rue Santa Fe de Carmen Castillo, Granada de Graciela Taquini) et de contribuer à la réinvention, à la vitalité du cinéma et d’un monde en mutation.
Olivier Hadouchi



La programmation s'articule en sept programmes :

01 LE VISAGE DE LA JUSTICE

Juizo (Behave), Maria Ramos, 90’-2007-Brésil

Documentaire hybride sur la justice au Brésil, Juizo (Behave) révèle les coulisses d’un système impuissant face à une jeunesse abandonnée. Le film enregistre une série d’auditions, conduites par une femme juge. On y entend le récit de crimes dont se sont rendus coupables de jeunes délinquants filmés de dos. « Lorsque j’ai décidé de faire Juizo, dit-elle, je me suis retrouvée devant des obligations légales interdisant de dévoiler l’identité des mineurs, je me suis imposé un défi : comment faire un film sans montrer ces visages ? La solution fut de remplacer les personnages réels par des jeunes
vivant dans les mêmes conditions sociales marginales et violentes, et qui pourraient facilement se retrouver dans une situation identique. » Maria Ramos réalise un portrait à la fois incisif et délicat d’individus broyés dont la caméra a croisé l’existence.

samedi 17 mars - 11h, séance présentée par Renato Guimarães

02 L'HISTOIRE, CAMÉRA A L’ÉPAULE

La première charge à la machette (La primera carga al machete), M. O. Gómez, 85’-1969-Cuba
Film présenté par Emmanuel Vincenot.
Au départ, il s’agit de célébrer le centenaire du déclenchement des luttes d’indépendance cubaines (en 1868), mais le cinéaste choisit d’emblée un parti pris audacieux et novateur dans la lignée de Culloden de Watkins : tourner, comme un reportage, caméra à l’épaule, un film de reconstitution historique. La première charge à la machette nous plonge au coeur de ces luttes, comme si nous en étions les contemporains. La texture de l’image se rapproche des photographies de la fin du XIXe siècle et le travail audacieux du chef opérateur (Jorge Herrera) continue de susciter notre admiration de spectateur contemporain.

Samedi 24 mars – 11h



03 L'AMÉRIQUE LATINE A L'HEURE DES BRASIERS

Revolución, Jorge
Sanjinés, 9’-1963-Bolivie

Seul ou avec le groupe Ukamau dont il est un des fondateurs, Jorge Sanjinés est l’auteur d’une oeuvre proche du documentaire qui a su s’enrichir sans cesse et se renouveler au fil des ans (Le courage du peuple, L’ennemi principal, La nation clandestine) en privilégiant un point de vue pluriel, proche des communautés andines. Son travail témoigne en effet d’un intérêt constant pour les questions liées à l’identité (populations d’origine indienne longtemps discriminées dans leur propre pays) et à la lutte pour les droits (culturels, politiques). Pour toucher la majorité de la population bolivienne, pas toujours à l’aise en espagnol, Sanjinés tourne souvent ses films en quechua ou aymara, les deux principales langues du pays.

" L’heure des brasiers (La hora de los hornos)",
Fernando Solanas et Octavio Getino, Première partie : 90’-1968-Argentine

Tourné et diffusé clandestinement dans l’Argentine de la deuxième moitié des années soixante, "L’heure des brasiers" est très vite devenu un film culte dans son pays puis à l’étranger. Avec son style pamphlétaire, son cheminement proche du traité ou de l’essai, il constitue l’une des grandes références du documentaire militant ou engagé. Nous diffuserons la première partie de ce film (1 h 30), qui en comporte trois (durée totale : 4 h 20).
Fernando Solanas (Argentine) est autant l’aise dans le documentaire (L’heure des brasiers, Mémoire d’un saccage, La dignidad de los nadies) que dans la fiction (Les fils de Fierro, L’exil
de Gardel, Sud...). Durant la dictature argentine, de 1976 à 1983, il a vécu en exil en France, jusqu’au retour de la démocratie dans son pays.


Samedi 4 février – 11h, en présence de Fernando Solanas, réalisateur de L'Heure des brasiers (sous réserve) et de Kantuta Quirós et Aliocha Imhoff / Le peuple qui manque. Cette séance s'inscrit dans le cadre de l'hommage rendu au réalisateur lors du festival Est-ce
ainsi ? au cinéma L'Ecran de Saint-Denis, du 1er au 7 février 2012 - http://www.estceainsi.fr/
Samedi 31 mars – 11h, séance présentée par Kantuta
Quirós et Aliocha Imhoff / Le peuple qui manque

04 SUBVERSION(S) ET SURSAUTS



Basta, Ugo Ulive, 21’-1970 -Venezuela

Inédit en France, Basta est un chef d’oeuvre méconnu, digne de figurer dans l’anthologie d’Amos Vogel, Film as a Subversive Art. Le film nous confronte à un univers angoissant et cauchemardesque (asile psychiatrique, autopsie dans une morgue, ville dénaturée par la publicité agressive), entrecoupé d’images de guérilla.

Ugo Ulive est un grand metteur en scène de théâtre, il a aussi tourné des films en Uruguay (son pays d’origine) tels que Como el Uruguay no hay en 1960 (considéré comme la « première satire politique en Amérique latine »), à Cuba (Crónica cubana, 1963) et au Venezuela (Caracas dos o tres cosas, Diamantes, TO3).

Now, Santiago Álvarez, 5’ - 1965 - Cuba

Souvent décrit comme l’un des premiers vidéo-clips, ce court-métrage incendiaire de Santiago Álvarez est uniquement constitué de photographies et de bouts de séquences d’actualité. Tout le génie du montage apparaît dès les premières secondes, dans la manière de lier les images au rythme de la chanson de Lena Horne.

Santiago Álvarez (Cuba) a dirigé les actualités cubaines pendant de nombreuses années. Godard lui a rendu hommage en lui dédiant le deuxième volet de ses Histoire(s) du cinéma.

Me gustan los estudiantes, Mario Handler, 6’ - 1968 - Uruguay

Dans ce court métrage, Mario Handler alterne des scènes montrant la visite officielle du président des États-Unis (Lyndon Johnson) en Uruguay, avec des scènes de violentes altercations entre les manifestants étudiants et la police. Un classique du film militant : la
projection du film en 1968 à Montevideo a déclenché une émeute, peu de temps avant le « Mai français ».
Mario Handler (Uruguay) est l’un des pionniers du cinéma critique et engagé en Uruguay et ses premiers films (Carlos, le portrait d’un clochard, Liber Arce Liberarse) l’ont progressivement rendu suspect auprès des autorités puis contraint à l’exil. Rentré en Uruguay, il tourne encore aujourd’hui.

En un barrio Viejo, Nicolás Guillén Landrián, 9’, 1963
Los del baile, Nicolás Guillén Landrián, 6’, 1965
Coffea Arábiga, Nicolás Guillén Landrián, 18’, 1968
Desde La Habana 1969, Nicolás Guillén Landrián, 18’-1971 - Cuba

« J’ai voulu faire un cinéma très subjectif, très personnel et très expérimental » confiait Nicolás Guillén Landrián. Depuis sa disparition en 2003 son oeuvre acquiert enfin la place qu’elle mérite. Nous présenterons plusieurs courts-métrages de différentes époques, représentatifs d’un artiste en perpétuelle recherche formelle.
Nicolás Guillén Landrián (Cuba) est sans doute l’un des documentaristes cubains les plus doués et les plus inventifs de sa génération. Son audace et son indépendance d’esprit lui valurent d’être arrêté puis« rééduqué » à plusieurs reprises. Plusieurs de ses films ont été perdus ou détruits. À la fin des années 1980, il est enfin autorisé à s’exiler.

Samedi 18 février – 11h

Samedi 7 avril – 11h, en présence de Mario Handler, réalisateur de Me gustan los estudiantes

05 REGARDS DÉCALÉS, VISIONS DÉCENTRÉES


Image extraite de "Granada" de Graciela Taquini

Carnavales en Potosí, Gabriela Zamorano, 8’ - 2007 - Mexique
La Virgen Lupita, Ivonne Fuentes, 10’ - 2000 - Mexique
Granada, Graciela Taquini, 4’ - 2005 - Argentine

Films présentés par Angélica Cuevas Portilla. La cinéaste mexicaine Gabriela Zamarano a rapporté des images insolites d’un carnaval en Bolivie, syncrétique célébration indigène catholique dans les hautes terres boliviennes. Quant à la « Vierge Lupita » d’Ivonne Fuentes, elle vit dans une tente en pleine rue, sans renoncer à son goût pour les bijoux et le maquillage. Enfin, l’artiste argentine Graciela Taquini filme le récit d’une militante politique, arrêtée et torturée en 1978 durant la dictature : une expérience frontale de récupération de la mémoire.



Oiga Vea, Luis Ospina, 27’ - 1971 - Colombie
Agarrando Pueblo, Carlos Mayolo et Luis Ospina, 28’ - 1977 - Colombie

Films présentés par Angélica Mateus Mora. Volontiers
ironique et décalé, Oiga Vea documente la tenue des Jeux panaméricains à Cali (Colombie), tout en restant attentif aux détails insolites et au contexte social autour de l’événement. Dans le très corrosif Agarrando Pueblo, les deux cinéastes tournent en dérision ce qu’ils nomment la « porno-miseria », ces « documentaires » à destination du public européen, souvent mis en scène, jouant sur l’exotisme de la misère.

Samedi 25 février – 11h, séance présentée par Angélica Mateus Mora et Angélica Cuevas Portilla





06 CUBA : LA CAMÉRA VIRTUOSE

Soy Cuba, Mikhaïl Kalatozov, 2 h 20 - 1964 - Cuba /URSS
Coproduction cubano-soviétique, Soy Cuba témoigne d’une réelle fascination pour un pays tropical et métissé où Kalatozov s’immerge avec sensualité et frénésie. Il dirige sa symphonie visuelle comme un chorégraphe au regard mobile, adoptant de multiples points de vue, telle la vision enfiévrée d’un paysan exproprié, d’une danseuse entourée de vapeurs éthyliques ou d’un homme qui tombe du haut d’un immeuble ; sa caméra virtuose ne cesse de pétrir Cuba comme une matière vivante. Ce film flamboyant, redécouvert il y a moins de vingt ans par Martin Scorsese, a donné lieu à un documentaire, Soy Cuba, Le mammouth sibérien (Brésil, 2005), preuve que la magie continue d’opérer.
Mikhaïl Kalatozov, cinéaste soviétique, remporte la palme d’or au Festival de Cannes en 1958 pour Quand passent les cigognes, tourné avec un chef opérateur virtuose, Sergueï Urussevski. Tous deux participèrent ensuite à Soy Cuba, construit à partir d’un scénario coécrit par un Soviétique et un Cubain.














Samedi 3 mars – 11h

07 CHILI, UNE MÉMOIRE A VIF
Rue Santa Fe, Carmen
Castillo, 100’ - 2007 - France

Avec Rue Santa Fe, Carmen Castillo part à la recherche de son passé, après des décennies vécues loin de son pays d’origine, le Chili. Elle décide de retourner sur le lieu même où sa vie a basculé. En 1974 à Santiago du Chili, son mari, un dirigeant du MIR (extrême gauche
chilienne) est assassiné par les forces répressives de Pinochet, tandis qu’enceinte et grièvement blessée, Carmen Castillo parvient à se sauver in extremis. Le parcours labyrinthique et poétique d’une mémoire à vif.
Carmen Castillo (Chili), ancienne militante d’un groupe de la gauche radicale chilienne, exilée en France depuis le milieu des années soixante-dix, est l’auteur de plusieurs documentaires remarqués. Dans La Flaca Alejandra et dans Rue Santa Fe, elle confronte son expérience personnelle, celle de toute une génération, avec la mémoire tourmentée d’un pays.

Samedi 10 mars – 11h



Les séances ont lieu au Cinéma des cinéastes tous les samedis matin à 11h.